POUR UN CIEL DE LIBERTÉ    

© Samuel Hérault 1990

Ce matin il s'est levé tôt, il a rempli son sac à dos. Il déjeunera là-haut, dînera s'il fait beau. 
Ce matin s'il compte bien, les œufs éclos, il verra les petits de l'oiseau. Il prend son vélo.
Ce matin l'air est frais et le temps est clair. Il ne s'est pas trop couvert pense-t-il, en descendant la côte du calvaire. Il pédale pour de bon, zigzague pour éviter un hérisson.
La patience et les journées solitaire, c'est sa vie ! Seul dans la montagne, à être le gardien de l'oiseau, c'est son lot ...
La beauté lui suffit et le miracle de la vie lui convient. Des heures passées, jamais comptées, à surveiller et à penser, quelquefois désemparé, devant le comble de son utilité.
Il pose son vélo, prudent comme il sait l'être, silencieux comme on doit l'être, excité pourtant par la découverte. Il va se poster sans bouger, jumelles en mains.
Le soleil éclaire d'une lumière blanche les fleurs et les pierres, la falaise et le nid, où rien ne se passe d'autre, qu'une mère couveuse qui finit sa nuit.
Il scrute les alentours, chasse l'intrus d'un œil prédateur. Il faut éviter à tout prix l’élément perturbateur, en ce jour qui doit sacrer les efforts unis, de l'oiseau et de son protecteur.
Patience, patience encore … Sur la roche devant lui, un lézard profite de la chaleur. Il pense que pour qui sait regarder, la nature ne connaît pas l'ennui !
Dans la petite vallée, midi sonne au clocher. Il se plaît à imaginer comme chaque jour, l'activité de ceux qui vont se croiser pour débaucher, manger, se croiser pour embaucher !
Lui, pense-t-il, il est au-dessus de tout ça, au figuré comme au parlé, sourit-il …
Il ouvre son panier, la faim le titille, il va s'offrir un repas de, PRI-VI-LÉ-GIÉ !
À l'ombre de son chêne, le ventre plein, il prend ses jumelles. Il observe le nid, rien ne se passe ! Il va pouvoir goûter au plaisir d'une sieste quotidienne, la montagne tout entière semble calme.   
... Une demi-heure endormi ...                                                                                                            
Une fourmi gaillarde grimpe le long de son bras et atteint bientôt le cou. Il grogne, voudrait ne pas bouger, mais le chatouillis est insupportable ! Finalement la conscience de sa tâche lui revient, quand le petit réveil à six pattes quitte son oreille.
- Hummm ! Où sont mes jumelles ? Le mâle me paraît bien agité ?
Fixer la crête, ajuster sur la mère au bord du nid, une tête surgit, c'est arrivé enfin, le premier petit, un œuf vient d'éclore ! ... 
Les yeux fixes, sa joie est intense. Il se sait souverain dans l'instant, et il pense que d'en parler sera compliqué, mais il n'éprouve plus le paradoxe de son utilité. Maintenant, il est un spectateur comblé !
Il va guetter sans relâche, observant chaque repas de l'oisillon affamé. Il est heureux et soucieux à la fois, l’oeuf qui reste demeure fermé ...
Le jour décline, et sur le nid, le mâle apporte une proie avant la nuit. Les teintes du jour finissant, donne à l'horizon un air de paradis, et lui, se sent serein, lui, qui reviendra demain ...


SYNONYMIE AMOUREUSE  

© Samuel Hérault 1990

Ils se sont regardés vrai. Ils ont plaisanté faux. Ils n'ont donné que ce qu'il fallait de cet air suffisant, se signifiant par-là, qu'ils avaient su vivre seul jusqu'alors ... 
Leur attitude pourtant, témoignait déjà, sans qu'ils aient vraiment voulu le cacher, une curiosité pour ce qu'était l'autre, un intérêt soudain, qui les faisaient déjà se savoir un peu.
 
La résonance des pensées qui d'habitude leur était à chacun si sûre, se répercutait en eux, faussée, tordue, par le désir naissant qui les habitait.
Ils auraient voulu mieux s'expliquer le trouble nouveau qu'ils rencontraient. Mais l'heure était à la séduction, à la confession, qui plus tard serait un abandon. Et ils attendraient encore que naisse la confiance absolue dont ils avaient besoin.
 
L'attraction était telle, qu’ils n'osaient y joindre l'espoir de la vraie rencontre de l'alter ego qu'ils ne croyaient plus possible depuis longtemps.
 
Ce jour-là pourtant, il lui parlait, exposant son âme. Elle, lui souriait, ajoutant parfois ce qui lui semblait nécessaire de ne pas omettre.
Et petit à petit, ils sentaient qu'au-delà d'eux-mêmes, la force secrète du destin les livrait l'un à l'autre, au fil des mots, sans complaisance, parce que c'était évident ...
 
Ils se sont racontés, ont compris doucement de sourires en aveux, de gestes en confessions, que jusqu'à ce jour sans vouloir se l’expliquer, ils avaient vécu chacun de leur côté, la même vie !
Certes, ils se savent différents, mais dans le superflu : Il est un homme comme elle est une femme, ça aurait pu être le contraire, quelle importance !
 
Et dans le récit du passé, ils découvrent l'unité magique. Maintenant ils comprennent que les questions de leur enfance ont été les mêmes avant que d'être curieuses.
Ils se racontent les sensations, la fausse naïveté, les interrogations, quand petits déjà ils étaient chacun de leur côté, trop clairvoyant.   
Ils se souviennent qu'ils ont reculé parfois, quand l'âge et le corps les poussaient à se jeter sans envie, dans les absurdes aliénations du monde des grands, qu'ils savaient déjà trop bien...
 
Elle était belle, sensible ô combien. Il était un jeune homme sensible et sain : Et dans ce jour étrange où ils étaient deux, leurs faiblesses d'inadaptés trop tendres pour la vie, disparaissaient dans le regard de l'autre.
 
Leur présence dans cette foule, n'était qu'une absurdité de plus … Mais le bonheur les rendait invisibles, et leur monde d'alors les a fait devenir pour longtemps, les absents, qu'ils voulaient être depuis toujours...